Pendant ce temps dans les Milandes

Quelque part dans une petite grotte se trouvant dans les forêts des Milandes, un homme seul tentait de se réchauffer à l’aide d’un minuscule feu de bois. À l’extérieur, une pluie torrentielle l’avait pris par surprise, ce qui l’avait empêché de continuer sa route plus longtemps. Après avoir enlevé la majorité de ses vêtements trempe, il s’était assis devant le feu et avait commencé à observer la nature se trouvant l’autre côté de l’entrée de la grotte. Bien qu’il semblait d’apparence très calme, on ne pouvait pas en dire autant des émotions qui l’habitaient.

Pourquoi les événements devaient-ils se passer de cette façon? Voilà la question qui ne cessait de tourmenter le voleur. D’aussi loin qu’il se souvenait, il y avait toujours eu un de ses proches pour le trahir… pour l’abandonner… Cela avait eu la conséquence de le faire devenir le type l’homme qu’il était jadis : une personne froide qui ne possédait ni cœur ni âme. Pourtant, un événement avait enfin réussi à le faire revenir vers le droit chemin. La Meute…

Oui la Meute… Ce groupe qu’il avait formé avec l’aide de trois autres aventuriers avait été la plus belle chose qui ne lui était jamais arrivée. Grâce à elle, le voleur avait enfin réussi à se retrouver une famille qui l’aimait et qui l’acceptait malgré ce qu’il était. C’était aussi grâce à elle qu’il avait appris à utiliser ses talents pour d’autres personnes que lui-même. Mais ce qu’il avait le plus appris de la Meute était le bonheur qu’apporte le simple fait de pouvoir faire confiance à quelqu’un, chose qu’il n’avait jamais réellement connue dans le passé.

Pourtant, lorsque Bérégon avait annoncé qu’il partait seul, le voleur ne put s’empêcher de se sentir détruit intérieurement. Un peu comme si le monde dans lequel il vivait depuis quelques années venaient de s’écrouler en un seul instant. Un des principes fondamentaux de la Meute n’était-il pas de se faire mutuellement confiance? Pourquoi le forestier devait-il partir seul? Est-ce qu’il ne faisait plus assez confiance à ses frères d’armes pour l’aider dans sa quête de destruction du livre? Pourquoi....

Bien qu’il essayait de ne pas y penser, le jeune homme ne put s’empêcher de voir cette situation comme étant une trahison de plus qui s’ajoutait à la longue liste qu’il possédait déjà. Par contre, cette trahison était beaucoup plus douloureuse que les précédentes puisqu’elle provenait d’une des rares personnes qu’il considérait comme ami. Sans vraiment le vouloir, le voleur commençait à se souvenir de l’importance de ne jamais faire confiance à qui que ce soit. C’était un mode de vie qu’il avait pourtant appris très jeune. Pourquoi s’en était-il donc éloigné? Peut-être était-ce la seule solution qu’il lui restait pour ne plus jamais souffrir?

Après une nuit complète à tenter de faire le ménage dans ses idées, Winsthroft se rendit compte que la pluie avait enfin cessé. Il pouvait donc maintenant continuer sont périple vers l’endroit qu’il croyait peut-être pouvoir lui apporter certaine réponses à des questions qui le entaient depuis déjà trop longtemps. En effet, d’ici quelque jour, le voleur serait enfin de retour dans un certain village se trouvant dans la région de Crylayn… de retour pour la première fois depuis qu’il l’avait quitté il y a de cela déjà plus de quinze ans.

Crylayn n’avait pas beaucoup changé depuis. L’air sentait bon après la pluie et quelques braves oiseaux sortirent pour se dénouer la gorge. Malgré le petit peu de vie précaire qui pointait, Winsthroft ne pouvait que se remémorer la Passe. Cette partie de Milandes avait déjà été une zone de guerre atroce et Winsthroft savaient que tout les bâtons qui lui craquaient sous les pieds n’en étaient pas réellement, il savait que certains de ces bâtons étaient quelques fois des ossements humains. Il s’était habitué depuis son enfance aux fantômes qui suivaient parfois du coin de l’œil. Eux aussi faisaient partie de ce qu’il considérait de «normal» à Crylayn.

Au loin, il aperçut de la fumée d’un des villages opérés par les forces Devoniennes. Ce village, baptisé Kort par les soldats qui y vivaient avait été celui de son enfance. Les rues n’étaient pas pavées et pleines de boue après la pluie. La forge, un des bâtiments les plus importants, tintait constamment pour réparer les armes et armures des chevaliers qui passaient par là. Aussi, des troupeaux de toutes sortes passaient dans les rues. Tous étaient affairés à produire des éléments pour la guerre, jusqu’à la petite fille qu’il décelait au loin. Vêtue de vêtements qui ressemblaient plus à des haillons, elle s’affairait à diriger une troupe d’oies qui étaient presque aussi grandes qu’elle. Un fier-à-bras la surveillait du coin de l’œil. Elle dirigea ses oies vers une demeure couverte de chaume aux fenêtres toujours couverte de peaux huilées et ouvrit la porte d’une petite basse court. S’il voulait visiter ces lieux sans problèmes, il devait cacher le fait qu’il était un homme en âge de combattre ou de ses rendre inutilisables aux yeux des soldats.

Winsthroft se trouvait enfin devant le village de Draerus, son village natal qui au court du temps s’était fait rebaptiser Kort par les forces Devoniennes. Il y avait déjà bien longtemps que le voleur avait quitté ce village, mais pourtant, tout semblait être exactement comme il était lors du jour de son départ. Un peu comme si le village avait été figé dans le temps... Winsthroft ne put s'empêcher de se sentir légèrement nerveux face aux événements qui devaient suivre.

Mais avant de rentrer chez lui, il devait tout d'abord s'arranger pour ne pas attirer l'attention des Dévoniens. La meilleure solution selon lui était de se faire passer pour un infirme. Quelqu'un ayant de la difficulté à marché devrait surement faire l'affaire.

C'est donc ainsi que le voleur se mit à la recherche de deux morceaux de bois qui étaient environ aussi grands que son tibia. Il en profita de plus pour ramasser une longue branche solide qui lui servirait par la suite de bâton de marche. Une fois cela trouvé, Winsthroft fouilla dans son sac afin de prendre un vieux bandage taché de sang séché qu'il n'avait pas eu le temps de nettoyer correctement. En utilisant la pointe d'une de ses dagues, il se piqua le bout d'un doigt et utilisa le sang qui coulait afin de tacher un peu plus le bandage. Le bout de tissus était maintenant parfait pour faire croire à une vieille blessure qui n'était pas encore complètement guérie. Il ne restait maintenant plus qu'à placer les deux morceaux de bois de chaque côté de sa jambe et de les attacher solidement avec le tissus afin que son déguisement soit complet. Le fait que ses vêtements et lui-même étaient déjà sale à cause du voyage allait également aidé à ne pas attirer l'attention. Pour le reste, Winsthroft contait sur le fait qu'il savait comment se dissimuler dans les foules.

C'est donc en se forçant à boiter et en s'appuyant sur son bâton de marche de fortune que le voleur s'avança tranquillement dans le village en direction de ce qui était autrefois sa maison.

Sa maison se tenait un peu à l’écart du village et n’avait pas changé du tout de ce qu’il se rappelait. Il ouvrit la vieille barrière de la court, en prenant garde de ne pas laisser s’échapper les oies qui cacardaient leur mécontentement d’un intrus dans leur domaine. Un jeune garçon maigrelet vêtu de haillons et couverts de saleté dirigeait des chèvres vers un autre enclos qui contentait un petit abri ainsi qu’un abreuvoir. Winsthroft alla lui porter secours en rassemblant une petite chèvre fainéante. Lui garçon le remercia gravement puis baissa les yeux mais demanda courageusement : «Mon père a été blessé dans la dernière guerre et travaille maintenant comme forgeron. Ma mère est à l’intérieur de la maison et s’occupe du bébé. Que nous voulez-vous?»

Winsthroft regarda pendant quelques instants le jeune garçon de la même façon qu'il aurait regardé un monstre. De toutes les personnes que ce petit garçon aurait pu être, le voleur était loin de penser qu'il aurait été son jeune frère. Pendant l'instant d'une seconde, il ne put s'empêcher de le détester pour le simple fait que ce jeune homme n'avait pas eu à suivre le même parcours qu'il avait subi. Mais en se rendant compte que son regard perçant pourrait potentiellement rendre malalaise le petit, Winsthroft s'efforça de faire le vide dans son esprit afin de pouvoir agir plus naturellement.

Tout en pliant les genoux afin d'être à la hauteur du garçon, le voleur fit un sourire sincère et dit :

- Dis-moi mon garçon, comment t'appelles-tu?

Après avoir entendu la réponse, Winsthroft enchaina avec une voix douce :

- Je suis ce qui pourrait être considéré comme une vieille connaissance de tes parents. J'étais de passage dans la région et je me suis dit que je pourrais venir faire un léger détour afin de les voir. Est-ce que je peux entrer voir ta mère quelques instants?

Le petit ne sembla pas trop convaincu par l'explication. Étant donnée la situation du village, il était bien normal qu'il soit méfiant en la présence d'étranger, en particulier lorsque ce dernier était habillé comme un aventurier. Il aurait probablement bien aimé pouvoir questionner l'étranger plus longtemps, mais Winsthroft qui ne voulait pas rester plus longtemps à découvert réussit habilement à se débarrasser du garçon en lui signalant qu'une des chèvres n'avait toujours pas été amenée à l'enclos.

Winsthroft alla par la suite à la grande porte de bois de la maison. Sur le cadre de cette porte, le voleur y aperçut une série de marques horizontale qui avait été faite au couteau. La simple vu de ces marques fit naitre en lui une série d'émotions qui était difficile à contenir. C'était les marques que son père faisait lorsqu'il était jeune afin de voir comment son fils avait grandi. Tout en tentant d'éliminer les sentiments de nostalgie qui lui tenaillait l'intérieur, Winsthroft cogna à la porte de son ancienne demeure.

-Entrez! , fit une voix féminine provenant de l'autre côté de la porte.

En entrant, Winsthroft fut frappé par les modifications qui avaient été faites à la maison au cours des années. Les meubles ne ressemblaient plus à ceux de ses souvenirs et étaient disposés autrement. La décoration avait également été modifiée, mais était toujours dans le même style d'autrefois. Par contre, l'aventurier remarqua une chose qui n'avait pas changé au cours du temps. C'était la femme qui se tenait devant lui, un bébé dans les bras. Elle avait bien sûr pris quelques années, mais cela n'empêcha pas le voleur de la reconnaitre.

Voyant le regard interrogateur de la femme qui ne semblait pas le reconnaitre, le voleur prit la parole :

- Bonjour.... Maman...

La jeune femme le dévisagea d’un air incrédule avant de prendre la parole :«Euh, vous vous trompez, je ne peux pas être votre mère : vous venez de parler à mon plus vieux. Qui êtes-vous monsieur?»

Winsthroft fut légèrement surpris par la réponse de la femme. Il fallait pourtant s’y attendre. Disons que le voleur n'avait plus tout à fait la même apparence que lorsqu'il avait neuf ans... Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis se ravisa. Il devait bien choisir ses mots avant de continuer. Il en profita donc pour regarder de nouveau la personne se trouvant devant lui. Il n'y avait aucun doute possible, il s’agissait belle et bien de Sérénia, la femme qui fut autrefois sa mère. Plus par habitude que par réel désire de le faire, Winsthroft ne put s'empêcher de remarquer le manque de protection de la femme au niveau des organes vitaux. Ce genre de personnes serait tellement une proie facile, pensa-t-il...

Un léger inconfort s'installa dans la pièce. La femme attendait une réponse que le voleur ne savait lui donner. Lui qui était pourtant d'habitude si vif d'esprit pour inventer des histoires dans les situations les plus dangereuses ne savait absolument pas quoi répondre. Il y avait tellement de choses que Winsthroft aurait voulu dire qu'il ne savait même pas par où commencer.

Puis il fut frappé par la réelle signification de ce qu'elle venait de dire. Pourquoi prétendait-elle que le jeune garçon se trouvant à l'extérieur était le plus vieux de ses enfants?

- Ce que je dis est pourtant vrai. C'est moi, Besk. Tu ne peux tout de même pas avoir oublié le plus vieux de tes fils!